


La Lune.
Récemment, une lectrice acariâtre me faisait gentiment remarquer que mes introductions trainaient en longueur et que le vif du sujet se faisait par trop attendre. De plus, elle employa les termes « tartines de généralités faciles » pour qualifier mes adages délicats, ce qui aurait pu me vexer, mais elle est fort jolie et, pour des raisons qui m’échappent, j’ai pour elle l’excuse facile.
Ceci dit, voici l’introduction espérée.
Le surréalisme n’est point, comme on pourrait le croire, le fait de quelques illuminés montparnassiens sous substances extatiques. Non ! Il se cache dans d’exquis moments lumineux, au creux de nos journées que, par manque d’attention, nous appelons mornes, voire fades. La vie nous fournit des tremplins, à nous de faire le saut ou d’employer, encore et toujours, la même et sempiternelle échelle de corde aux barreaux graisseux à force de tristesse et d’ennui.
Bien entendu, Lectrice de guinguette, Lecteur assiesté, tu veux ta dose quotidienne de preuves, preuves sans lesquelles tu ne t’autorises pas le moindre décollage.
Et bien soit : pas plus tard que l’autre jour, j’emplettais dans une échoppe locale dont je tairai le nom. Nous sommes en automne, saison fructifère s’il en est. Je m’y autorise quelques écarts sous forme de pommes, de poires et, surtout, de raisin. J’avise une jolie barquette vantant des fruits sans pépins :
– Ah mais des raisins sans pépins nous évitent bien des problèmes, sauf quand il pleut ! me dis-je.
Et, sans lire le reste de l’étiquette, j’achalande mon cabas d’un bon kilo de ces grappes dorées qui ne semblaient attendre que moi.
Arrivé à la caisse, j’entame bavette avec la vendeuse, affable et souriante comme elle seule sait l’ être. Nous restons banals, mais avec plaisir quand, soudain, à la vue des raisins, je la vois blêmir, jeter alentours des coups d’oeil suspicieux puis, s’approchant de mon oreille écarquillée de surprise, m’y glisser discrètement, comme en secret :
– Avez-vous bien lu Monsieur, ce sont des raisins parfumés … à la barbe-à-papa ! Etes-vous certain que … Ne pensez-vous pas que … Ne serait-il point préférable que …
Je louai avec effusion son honnêteté et sa capacité à mettre en arrière-plan son capitalisme pour la santé de ses clients. Mais, ma curiosité gustative étant mon plus grand défaut, je passai outre ses recommandations, achetai le raisin et sortis, non sans remarquer sa larme à l’oeil et ses nombreux signes de croix.
Arrivé chez moi et après une brève rédaction de mon testament, je goûtai à mes dangereux achats. Je m’attendais à une explosion d’arômes synthétiques, à une ultime extase chimique, à un envol vers des cieux bigarrés. Il n’en fut rien. Ne m’aurait-on pas instillé l’idée de la barbe-à-papa que je n’y aurais pas fait attention. Je survécus, pour mon malheur, et finis la soirée en conjectures sur la barbe-à-papa au parfum de raisin ainsi que sur le raisin au parfum de barbe-à-papa au parfum de raisin.
Tout ne fut plus que mise en abîme
Autre aventure, plus cocasse celle-ci :
Ce matin, travaillant dans la salle commune, je décidai de passer à la boulangerie la plus proche pour faire taire mon estomac dont les gargouillis interrompaient la quiétude de ce laborieux open-space. Pris d’une subite crise d’altruisme, je demandai alentours si on avait besoin de quelque victuaille pour la pause. Alentours se résumait, à ce moment-là, à une sympathique collègue dont l’unique défaut est d’être allergique aux chevaux.
-Ah oui, me répondit-elle, prends-moi un croissant aux petites graines.
Je souris et me dit un brin misogyne que décidément rien ne peut se faire simplement avec les femmes. Je ne pensais pas si bien penser.
Arrivé à la boulangerie, je fus précédé par un bellâtre musclé et jeune dont je n’aurais même pas remarqué l’existence s’il n’allait pas jouer son rôle dans les lignes qui vont suivre.
– Un croissant aux petites graine et un croissant aux amandes s’il vous plait, dis-je à la vendeuse. Cette dernière, me semblant renfrognée pour je ne sais quelle raison, me répondit sur un ton sec :
-Vous voulez dire un croissant complet ?
-Oui, un croissant complet s’il vous plait.
-Il n’y a plus de croissants complets, le gentil monsieur qui vient de sortir a acheté les deux derniers, m’annonça-t-elle triomphante. Vous pouvez le rattraper si vous voulez ?
Je les maudissais, elle, le bellâtre et les croissants complets. Il ne me restait plus qu’à me rabattre sur les croissants incomplets et j’imaginais la mine dépitée de ma collègue aux attentes de laquelle je n’aurais pas su répondre. Mais, bon sang, plus de croissants standards en étal ! Ne restaient que les croissants de Sils, ébauches de bagels incomplets, c’est fou ça !
-Donnez-moi donc un croissant de Sils, s’il vous plait, demandais-je d’une voix où suintait l’envie de revanche. Et un croissant aux amandes.
Il y a en ce bas monde une justice qui punit les méchants, surtout si les méchants sont les autres. Tandis qu’elle « tipait » mes achats sur sa caisse-enregistreuse dernier cri, je remarquai que mon noble « Croissant de Sils » apparaissait sur l’écran comme « Croissant saumure ».
-Ah tiens, lui dis-je, croissant saumure ! Vous les trempez dans l’eau salée vos croissants ? Je n’aurais pas cru !
Elle la trouva saumâtre, bougonna, me lança un regard noir et « tipa » mon croissant qui apparut sous « croissant amande ».
-Ah tiens, ajoutais-je jovial, vous mettez une amande par croissant ? J’imaginais tout de même plus.
Ce fut un feu d’artifice : elle ne savait pas si on trempait les croissants dans l’eau salée, elle n’allait tout de même pas corriger l’orthographe de la caisse enregistreuse, c’était le travail de son patron et ce dernier était en vacances, et c’était un comble d’appeler un croissant complet « croissant aux petites graines », Monsieur !
Je payai et sortis, radieux, sans prêter la moindre attention à ce type minable qui bâfrait la dernière bouchée de son second croissant de malheur.
J’offris son croissant à ma collègue, lui contai toute mon aventure et elle conclut, espiègle et goguenarde :
-Croissant de Saumure, ça sort du cadre !
Ce qui est un comble pour une femme allergique aux chevaux.
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Vous aussi êtes malheureux en croissants ? Épanchez-vous par un commentaire salé sous les pâtisseries, oeuvre de mon intelligence artificielle préférée.
