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Ah mais quel homme sensible ! Pour écrire de si jolies choses ça doit être un poète, une âme délicate, une dentelle incarnée.
Sensible sans doute, pour le reste je vous laisse assumer ce que vous pensez à mon sujet !
Voyez-vous, la sensibilité a ceci de peu connu qu’elle s’exerce sans discernement; simplement, comme vous ne voulez pas décevoir votre public, vous filtrez et censurez ce qui pourrait par trop lui déplaire. Il existe bien entendu l’option « écrivain maudit qui s’auto-détruit et qu’on lira posthumément », mais tant d’andouillettes en accorte compagnie m’attendent encore qu’il serait dommage d’écourter ce voyage pour une hypothétique postérité au goût de sapin.
Voilà qui va m’autoriser à me lâcher; tenez-vous bien.
Contemplant un paysage de ma montagne adorée, je constatai par d’imperceptibles signes que nous avions, en catimini, quitté la belle saison. L’été tentait encore de faire le fier, mais le coeur n’y était plus. Les stridulences des grillons, Wagnérienne sous le cagnard, se faisaient Satiennes, sans jamais conclure quelque gymnopédie, s’excusant presque d’avoir oublié la fin d’une oeuvre pourtant répétée à loisir pendant les beaux jours. Les nuages, autrefois étendards des orages dantesques dont j’ai déjà parlé ailleurs, s’effilochent maintenant pour n’être plus que brumeuses brumes, tristes bancs horizontaux et reposants malgré eux. Les feuilles, dont la verte vigueur résistait vaillamment aux coups de boutoir des vents de la tempête, se froissent bruyamment au moindre souffle. A les bien regarder, elles ont déjà perdu leur éclat victorieux. Triste chlorophylle, adieu bourgeons. L’air même semble s’emparesser et abandonner tout combat. A quoi bon ? Les arbres se dénuderont par eux-mêmes, quoi qu’il arrive. Ça soufflotte sans gloire et on se désole devant la défaite des forces de l’été, qui cette fois encore ne sera pas éternel.
Quelques fleurs, anachroniques et dérisoires, tentent une seconde floraison; elle gèleront sur pied, naïve punition à leur manque de discernement saisonnier.
Tout cela est très poétique, très joli, très romantique. Vous fondez comme, par exemple, du parmesan sur un risotto.
Fort heureusement, pour gâcher l’ensemble, telles de gnafrantes éclosions à contre courant, les champs se parsèment des nuées des horribles colchiques. Elles ne sont là que pour faire honneur à la chanson et nous indiquer, goguenardes, que c’est « la fin de l’été ».
Lecteur tatillon, lectrice pointilleuse, je sais pertinemment que « colchique » est masculin. Il se trouve que je les vois féminines et tu ne prétends tout de même pas me faire plier devant des règles d’orthographe se riant de la réalité ? Observe quelques instants un champ encolchiqué et viens me prétendre que ce nom est masculin !
Mais tu m’égares; reprenons.
Elles ont pour robe, les colchiques, ces laids pétales au mauve pastel aqueux, comme une insulte à leurs cousins du printemps, crocus multicolores et pimpants, masculins, viriles, qui eux nous annoncent les beaux jours. Elles croissent et croissent encore, hideuses protubérances dont la tête finit par faire ployer la tige. Elles sont, par essence, exagération à contretemps et ne durent précisément que l’exact temps qu’il faut pour vous gâcher l’entre-saisons. Elles m’entoxiquent une fin de l’été que je me réjouis d’être un début de l’automne. Je ne les aime pas.
Or, très judicieusement, la nature, généreuse pourvoyeuse de plaisirs colorés, a su se faire pardonner en créant le Crocus Sativa qui enjaunira mes risotti d’automne d’un parfum safrané délicieux.
Avec du parmesan râpé, il va sans dire.
Olivier, le 14 août 2025
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Si comme moi les colchiques vous agacent, dites-le moi dans un commentaire, sous le risotto !
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